Evènement organisé par le Parti Vert Européen sur la fermeture de l'ERT – Intervention de Nikos Michalitsis
L'ancien directeur général du service technique de l'ERT, Nikos Michalitsis a pris la parole lors d'un évènement organisé hier par le Parti Vert Européen. " Le crime commis le 11 juin 2013 par la décision autoritaire et unilatérale du gouvernement de fermer la radiotélévision publique grecque, ERT, n'a pas que des conséquences sur les 2650 familles des salariés de l'ERT mais aussi sur les familles de tous ses collaborateurs. Il a des conséquences sur l'histoire, la civilisation et la démocratie de notre pays" a souligné entre autres Nikos Michalitsis.
Discours de Nikos Michalitsis
"Chers Députés européens des Verts, chers confrères des radiotélévisions publiques européennes,
Nous voudrions remercier chaleureusement de votre invitation de la part de tous les employés de l'ERT, mais aussi de ma part, l'opinion publique européenne et en particulier l'Union des Organismes de Radiotélévisions Publiques de l'Europe, l'EBU UER pour le soutien bouleversant apporté à notre tentative de garder ouverte la radiotélévision publique grecque, ERT, en nous battant pour "éclairer l'obscurité" qu'ils ont voulu nous imposer.
Notre voix n'est pas celle de personnalités politiques ni de syndicalistes. Aussi bien moi même que d'autres collègues qui avons servi à des postes de responsabilité la radiotélévision publique n'avons jamais été ni l'un ni l'autre. Nous avons été des technocrates mais aussi des citoyens démocrates qui avons cru à la démocratie européenne contemporaine et à ses procédures.
Le crime commis le 11 juin 2013 avec la décision autoritaire et unilatérale du gouvernement de fermer la Radiotélévision publique grecque, ERT, n'a pas que des conséquences sur les 2650 familles des salariés de l'ERT mais aussi sur les familles de tous ses collaborateurs. Il a des conséquences sur l'histoire, la culture et la démocratie de notre pays.
Les conséquences économiques, que nous détaillerons par la suite, est le moindre des maux. La Grèce, comme vous le savez, traverse une longue période de crise profonde, de récession et de chômage. Il paraît que cette crise est l'une des causes de la fermeture de l'ERT gaspilleuse, comme ils l'appellent.
Mais le gouvernement a fermé un organisme qui n'est pas financé par l'Etat mais directement par les citoyens qui payent 4 euros par mois et par famille, une des redevances audiovisuelles les plus basses de l'Europe.
Ils ont fermé un des rares organismes publics qui en 2012 avait un excédent de 67 millions d'euros et qui, selon le budget de 2013, devait avoir un excédent encore plus élevé de l'ordre de 100 millions d'euros, c'est-à-dire un tiers de son chiffre d'affaires annuel. L'ERT payait une contribution à l'Etat, les impôts et les cotisations sociales, d'un montant de la moitié de son budget.
C'est la première fois qu'une telle chose se passe dans le monde.
L'Etat ne retirera aucun avantage financier de la fermeture de l'ERT, mais perdra des recettes et subira un gros dommage économique supplémentaire de l'ordre de 300 à 500 millions d'euros, comme nous allons l'expliquer.
Le premier dommage est celui des indemnités de licenciement massif à 2650 salariés qui seront payées par le budget de l'Etat. Autre dommage, celui de dizaines ou de centaines de millions d'euros qui seront exigés par toute personne physique ou morale ayant tout type de contrat avec l'ERT. Dans le cas où l'ERT ferme, cela signifie annulation soudaine sans aucun préavis de l'ensemble des contrats que l'ERT avait signés. Les fournisseurs, les sociétés de service, les sociétés de production, les propriétaires de droits sportifs, de films, de documentaires, exigeront non seulement l'ensemble des sommes prévues par les contrats mais aussi les dédommagements prévus par les clauses pour le dommage économique subi à cause de l'annulation soudaine de leur contrat.
La fermeture de l'ERT a été préparée en cachette au cours des six derniers mois par le gouvernement grec et la dernière direction nommée de l'organisme. Pendant six mois, cette direction, composée intentionnellement de personnes incompétentes dans le domaine de l'audiovisuel mais compétentes en ce qui concerne le secteur bancaire et boursier, n'a signé aucune décision, ce qui a eu pour conséquence de laisser l'ERT sans aucun programme ni aucun investissement, et de plus a créé un cadre asphyxiant de soutien à la politique gouvernementale dans le domaine de l'information, diminuant ainsi le taux d'audience des programmes de l'ERT de moitié.
Bien que ce "coup d'état "ait été préparé, la décision autoritaire a été appliquée avec une incroyable improvisation et sans aucun plan sérieux pour résoudre les problèmes en découlant.
Les employés de l'ERT ont réagi à cette décision criminelle dès le premier instant en décidant de garder l'ERT ouverte bénévolement. Dès le premier instant cette décision des employés a reçu le soutien de la grande majorité de la population grecque, de la diaspora grecque mais aussi de l'opinion publique internationale et plus particulièrement européenne.
Avec l'aide de l'EBU UER et malgré la guerre très dure menée par le gouvernement, le signal de l'ERT reste vivant jusqu'à l'instant même où nous parlons, à l'exception des émetteurs numériques de la télévision, qui sont gardés par les forces de police, et le programme par satellite ERT WORLD interrompu, après intervention interétatique, par le fournisseur de services satellitaires.
L'audience des programmes de l'ERT en direct sur internet, possible avec l'aide de EBU UER, est impressionnante. La retransmission sur le web du programme de l'ERT a atteint dans les huit premiers jours 4, 5 millions de téléspectateurs. C'est cela la vraie télévision publique de la Grèce dans ses moments les plus difficiles mais peut-être aussi les meilleurs.
Les larmes de la violoniste de l'orchestre symphonique de l'ERT sont devenues un symbole international de la résistance à l'arbitraire antidémocratique du gouvernement grec qui a porté atteinte à l'histoire et à la culture et civilisation de notre pays.
Mais les employés de l'ERT ne s'arrêtent pas là. Ils ont des propositions précises pour sortir de l'impasse catastrophique engendrée par la décision de fermer l'ERT. Ces propositions partent du fait que la seule sortie de l'impasse légale et réaliste est que seuls, eux mêmes, peuvent assurer la suite des obligations et des droits de l'organisme audiovisuel public afin de chasser le noir des écrans des citoyens Grecs.
Après nous sommes prêts à débattre de la création d'un organe de supervision qui assurera l'indépendance de l'audiovisuel public du gouvernement, l'élaboration d'un projet d'entreprise et d'un nouvel organigramme, l'évaluation juste et objective de tout le personnel selon les besoins définis suite à ce débat.
Nous soutenons sans réserve la proposition faite dans la résolution adoptée lors de la récente assemblée générale de EBU UER à Malte, d'apporter son précieux savoir faire à toute la procédure dont nous venons de parler.
Nous rappellerons également que la Grèce assurera à partir 1/1/2014 la présidence de l'Union Européenne. Sans l'ERT et la contribution de l'EBU UER, la couverture médiatique de tous les évènements importants survenant en Grèce ne sera pas possible. Les sociétés privées auxquelles ils ont l'intention de faire appel n'ont ni le savoir faire ni le potentiel pour couvrir de tels évènements. Nous devons les empêcher de compromettre encore une fois le pays sur le plan international.
Au contraire des employés de l'ERT, ceux qui l'ont fermée n'ont non seulement aucun plan pour le refonctionnement de l'audiovisuel public mais ils ne savent même pas pourquoi ils l'ont fait. Ils ont d'abord baptisé réforme la disparition de l'ERT. Puis ils ont ensuite invoqué le fait qu'ils ne trouvaient pas ailleurs 2000 personnes à licencier comme le demandait la troika. Lorsque la plus haute juridiction du pays, le Conseil d'Etat, a ordonné de chasser le noir des écrans des citoyens Grecs, ils ont été pris de panique, se lançant dans des actions convulsives et illégales. Au début ils ont invité les employés à évacuer les locaux de l'ERT à Agia Paraskevi. Dans les jours qui ont suivi les salariés ont reçu par un simple courrier leur notification de licenciement, un document portant le nom de l'ex Conseiller Directeur de l'ERT, qu'aujourd'hui ils ont nommé liquidateur mais sans aucune signature. Ce document demandait aux licenciés de préserver les équipements de l'ERT jusqu'à ce qu'il lui soit remis définitevement.
Par ailleurs, les fréquences existantes de la télévision numérique de l'ERT présentent au lieu d'un programme des barres en couleur, qui s'affichent grâce à l'aide de deux sociétés privées choisies par le ministère des Finances par des procédures manquant absolument de transparence.
L'une de ces deux sociétés est Digea, un consortium de 6 grandes chaînes privées de télévision ayant chacun des parts égales. Les propriétaires de ces chaînes sont des éléments puissants de l'économie grecque, liés à l'industrie de la construction, au capital des armateurs et à la propriété des groupes de médias. Ils ont été accusés par le passé, par des premiers ministres eux mêmes du pays, d'utiliser la puissance des groupes de médias dont ils sont propriétaires pour influencer le pouvoir politique et en tirer profit pour les autres branches d'activités dans lesquelles ils sont impliqués.
On a une image de cette société à travers les clauses d'un appel d'offre pour attribuer une licence à un fournisseur de réseau de télévision numérique pour les 15 ans à venir, que le gouvernement doit lancer. C'est-à-dire qu'il s'agit de contrôler en plus du contenu les services d'émission de télévision numérique et d'empêcher l'émission de toute chaîne télévisée voulant avoir une voix critique sur la politique gouvernementale.
Et c'est bien ce qui s'est passé lorsque Digea interrompait illégalement le programme de toute chaîne télévisée retransmettant le programme de ERT ouverte des salariés après sa fermeture par le gouvernement.
Selon les clauses de ce même appel d'offre, les fréquences de l'ERT et le grand réseau d'émetteurs et de retransmetteurs dont ERT dispose sont livrés au secteur privé par des manipulations qui laissent le propriétaire de cette ressource rare et précieuse, c'est-à-dire l'état, sans ses propres fréquences.
De l'autre côté de l'Atlantique, il y a longtemps, le 29/4/1938, le président Américain Franklin Roosevelt avait dit s'adressant au Congrès : " La démocratie n'est pas en sécurité si les hommes tolèrent le développement de la puissance privée au point qu'elle devienne plus forte que l'état démocratique lui-même. C'est là l'essence même du fascisme, la main mise sur le gouvernement d'un privé, un groupe ou autre puissance privée, pouvant exercer un tel contrôle."
Le problème de l'ERT est déjà devenu un problème de démocratie et de défense de l'intérêt public.
Le gouvernement grec ne tient pas compte de l'intérêt public, de l'histoire et de la civilisation de la Grèce, des Grecs de la diaspora qui ont eu le sentiment de vivre un nouveau déracinement, de la Justice grecque et de ses lois, de la Constitution du pays, du protocolle 29 de l'Union européenne pour le système de radiotélévision dans les états membres, de l'EBU UER, de l'opinion publique européenne.
Les employés de l'ERT supportent aujourd'hui un grand poids sans être fautifs. Ils ne se battent plus pour sauver leur emploi. Ils se battent pour sauver l'honneur perdu de la Démocratie dans le pays où elle est née.
Soutenez nous. Le parlement européen a le devoir de prouver que la démocratie contemporaine européenne que nous avons connue, celle de l'état social et de la défense de l'intérêt public, existe encore.